PORTRAIT D'UN COUREUR - RÉJEAN HARVEY

Dans un portrait publié antérieurement, Luc Gauthier, originaire de Dolbeau-Mistassini, raconte avoir vu Réjean Harvey courir et courir dans les rues de son patelin, et s’être questionné : « Je ne le connaissais pas mais je voyais souvent ce personnage-là qui courait et je me demandais : c’est quoi l’fun de courir comme ça, sans but? »

Aucunement froissé, Réjean rit en me disant en entrée de jeu : « Tu pourras dire à monsieur Gauthier qu’on a tous un but quand on court! »

Voici le sien.

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Le cheminement de Réjean débute … à sa naissance! Né de façon prématurée dans une famille très pauvre, il a une très mauvaise santé. Asthmatique chronique, il lui manque quelques morceaux dans le corps, dit-il.

« J’avais six vertèbres soudées dans le dos, il me manquait des nerfs et des muscles dans le cou. »

Très jeune, Réjean passe plusieurs périodes dans le coma et vient bien prêt de mourir. « Je n’étais pas supposé vivre très longtemps. J’ai beaucoup réfléchi à la vie et à la mort. J’ai même déjà eu des idées suicidaires. Je trouvais injuste que je sois pauvre et malade, alors que les autres enfants qui m’entouraient avaient de beaux jouets et surtout, la santé. »

Durant ses premières années scolaires, il passe plus de temps dans les hôpitaux de Dolbeau et de Chicoutimi qu’à l’école. « J’étais nul à l’école, j’ai même refait ma deuxième année. »

À l’aube de l’adolescence, Réjean est fatigué physiquement et moralement. Il décide qu’il doit faire quelque chose : « Il fallait au moins que j’essaie. Je me suis développé une philosophie: on a qu’une vie, cela passe ou cela casse! »

Un évènement en particulier est le déclencheur de son évolution positive. Avec son frère, Réjean est à la ferme de sa grand-mère à environ quinze kilomètres de Mistassini.

« Un oncle nous avait prêté une carabine pour tirer sur une cible dans le champ. Après quelques tirs, mon frère a décidé de garder la carabine pour lui seul. Frustré, je suis retourné à la maison à pied. Ça m’a pris six heures. Ce jour-là, je me suis juré que je reviendrais à la ferme … mais en courant. Le lendemain matin, j’ai commencé à courir. »

Depuis, il n’a pas arrêté.

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Modèle de courage et de détermination, Réjean croit que c’est la course à pied qui l’a sauvé. Car à partir de là, ses résultats scolaires s’améliorent. Sa santé également.

Graduellement, en investissant temps et efforts, Réjean devient un bon coureur et est reconnu comme tel. « J’étais enfin quelqu’un! Quand j’ai vu le film Forest Gump, je me suis dit qu’il y avait un peu de moi dans ce personnage-là! »

Au Cégep de St-Félicien, ses professeurs lui disent qu’il est doué pour l’écriture : « J’écrivais de la poésie. J’ai même gagné un concours, », se souvient Réjean.

Il débute ensuite des études en journalisme international à l’Université Laval. Mais durant sa troisième session, il est sans le sous. Les prêts et bourses ne suffisent pas à lui procurer le minimum essentiel. La mort dans l’âme, il doit abandonner.

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De retour à Mistassini, une publicité des Forces canadiennes le tire de la léthargie dans laquelle il est plongé depuis quelques mois : « Si la vie vous intéresse! », clame la célèbre publicité. Sur un coup de tête, il s’enrôle.

Durant quatre ans, il voguera sur les bateaux de guerre de la marine canadienne, tout en continuant à courir … à ses risques et périls.

« J’étais un des rares qui allaient courir sur le pont. J’ai failli me noyer à quelques reprises. Une fois en particulier, alors qu’il faisait tempête, j’ai glissé. À la dernière seconde, j’ai réussi à m’agripper à la balustrade. Mes jambes pendaient dans le vide. Plus tard, dans mon lit, j’ai revu dans ma tête ce qui venait de se passer. Je me suis mis à trembler et à suer à grosses gouttes. J’avais vraiment passé proche d’y rester! »

À son retour au Canada, il s’inscrit à nouveau au Cégep St-Félicien pour entreprendre une formation en informatique. C’est dans ce domaine qu’il fera carrière, principalement à Revenu Québec, comme analyste.

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Un de ses beaux souvenirs de course est la deuxième place obtenue en 1982 par son équipe junior (17 ans et moins) lors de la course Les Six Heures d’Alexis le Trotteur tenue au Saguenay. Cette compétition se déroulait de midi à six heures, par équipe de trois coureurs qui se relayaient sur une piste de 400 mètres. L’équipe gagnante était celle qui effectuait le plus grand nombre de tours. Parmi les membres de l’équipe sénior qui avait remporté l’épreuve figuraient Richard Chouinard et … Jacques Mainguy!

Réjean a complété une soixantaine de marathons depuis qu’il court, fleuretant à plusieurs reprises avec la barre des 3h00. « Je suis beaucoup en dents de scie : des fois c’est bon, des fois c’est pas bon! J’aimerais être une horloge comme Camilien Boudreault! »

Son PB : 3h05 réalisé en 2006 à Boston.

Comme certains, Réjean a l’ambition d’obtenir la médaille attestant de sa participation aux six « Majors ». Il est déjà inscrit pour Londres en 2021, restera seulement Tokyo ensuite.

« La course à pied est devenue pour moi un mode de vie, presqu’une religion. Je ne voie pas le jour où je m’arrêterai. Je vais courir tant que je vivrai, » conclut-il.