PORTRAIT D'UN COUREUR - ALAIN BÉLANGER

Fier beauceron, Alain s’amène à Québec en 1990 afin d’entreprendre des études universitaires en travail social. Après ses études, il part découvrir le monde : Australie, Nouvelle-Zélande, Asie. « Je suis allé chercher une expérience de vie avant de travailler. »
C’est à 26 ans seulement qu’il commence à courir. Sa sœur lui propose de courir le marathon des Deux-Rives avec elle, à relais. Heureux de cette première cette expérience, il décide de courir un marathon l’année suivante.
C’est ainsi qu’à l’automne 1998, au terme d’un sous-entraînement, Alain court son premier marathon à Toronto. Il franchit la ligne d’arrivée en 3h35 … et vomit!
À peine remis de ses émotions, il pense immédiatement à son prochain marathon. « À partir de là, à chaque fois que j’ai complété un marathon, je pensais au suivant. » À ce jour, Alain a accumulé 32 marathons, incluant un PB de 2h53.
Membre du Club depuis 2004, Alain performe de façon exceptionnelle dans la course à pied, tant sur route qu’en sentier. On pourrait donc s’attendre à ce qu’il présente un passé de sportif accompli. Il n’en est rien. « J’étais pas sportif. Je performais pas du tout dans les sports d’équipe. Je n’aimais pas ça. »
Avec sa conjointe Valérie qu’il a rencontrée en Beauce, Alain a trois enfants maintenant âgés entre 13 et 19 ans. Sa priorité a toujours été sa famille, ce qui l’a amené à courir à des heures un peu folles. « Ma blonde travaillait beaucoup; j’allais courir soit à 9h30 le soir, soit à 5h00 le matin. »
En 2009 cependant, Alain vit une baisse de motivation et délaisse temporairement le marathon. Il suit des cours de natation en vue de participer, peut-être un jour, à un triathlon. « J’ai essayé de nager, j’ai suivi des cours durant un an : ça a été une catastrophe! »
Toujours en baisse de motivation, il se tourne vers la course en sentier, les « trails ». Immédiatement, il adore. Dans les années qui suivent, même s’il continue de participer à quelques courses sur route, il délaisse quelque peu le marathon au profit de sa nouvelle passion qui lui apporte ce qu’il recherche. Pour Alain, il y a cependant de grandes différences entre les deux types de course.
« Sur route, tu regardes en avant durant 42 km, ça peut devenir long. Et tu as une obsession du chrono. Tu regardes ta montre quasiment aux trente secondes pour voir si tu es dans le bon pace. Courir un marathon pour le fun, moi, j’ai jamais fait ça. J’ai toujours un temps en-tête. Ça vient lourd sur les épaules à un moment donné. Alors que dans les trails, tu regardes au sol tout le temps, pas le choix de regarder où tu mets le pied à chaque fois. Ça demande un focus constant, ça te garde l’esprit plus occupé. Et tu cours plus libre, moins stressé. Le paysage change tout le temps, ce n’est jamais monotone. Par contre, il faut que tu sois capable de courir seul. »
Avec l’endurance acquise sur marathon, il ne met que quelques années avant de s’attaquer aux « ultra-trails » (distances supérieures à 42 km). Il en a neuf à son actif.
Et aucun abandon.
« Dans un ultra-trail, il n’y a pas un muscle de ton corps qui ne te fait pas mal. Ce n’est pas juste les jambes. Ton corps en entier souffre, ton esprit souffre. Tu vis de la souffrance, mais maudit que tu te sens vivant. »
Sa plus grande réalisation est sa participation au Saint Graal des ultra-trails, l’Ultra-Trail du Mont Blanc (UTMB), course mythique de 171 km qui fait le tour du Mont Blanc, dans les Alpes françaises, en passant par l’Italie et la Suisse. Les exigences de qualification sont élevées et les chances d’être sélectionné minimes, même lorsque qualifié.
En août 2018, Alain figure parmi les 2500 participants sur la ligne de départ de l’UTMB. Il parcourt la distance, dans des conditions parfois extrêmes et avec un dénivelé de plus de 10 000 mètres, en un peu plus de 43 heures. Le temps limite est 46h30. Le tiers des participants ont abandonné. « Souvent, les abandons, ce sont des blessures psychologiques. Tu as des douleurs partout et avec la fatigue, tu te mets à penser négatif. Ça devient envahissant. C’est un peu comme un marathon, mais en pire. »
C’est avec un mélange d’enthousiasme, de fierté et d’émotion qu’Alain raconte l’expérience intense qu’il a vécue à Chamonix lors de l’UTMB.
« Sur l’aire de départ, j’avais beaucoup d’émotions. Je n’avais jamais couru plus que 125 km (Ultra-Trail Harricana du Canada – voir photo). Au-delà de ça, c’était l’inconnu. Au 70e km, je me suis mis à vomir. Je ne mangeais plus, je ne gardais rien. J’étais vert, je grelotais. Mon moral n’était pas là. Je suis allé dans la tente médicale durant deux heures. Nous étions quatre, les trois autres abandonnaient. L’infirmière me dit d’aller me chercher un bouillon de poulet. Tiens, je ne le vomis pas. J’ai décidé de repartir. Cinq kilomètres après être reparti, j’ai rattrapé une québécoise. Elle était au téléphone avec son chum, elle voulait abandonner. « Attends un peu avant, lui dit Alain, il faut que je te parle. » Elle grelotait, avait des nausées. Puis là, on s’est crinquer. « On essaie de faire équipe, on fait le plus long possible ensemble. Un kilomètre à la fois. On va essayer de penser positivement. Vas te chercher un bouillon de poulet. » Elle est allée en chercher un deuxième. Puis on a fait 25 kilomètres ensemble, et elle a abandonné au 98e kilomètre. Cette fille-là, je l’ai côtoyée pendant sept heures de course, mais cela a changé ma façon de penser. Nous sommes devenus des bons amis. Quand j’ai terminé, je n’ai jamais rien vécu comme ça. La satisfaction à l’arrivée est immense, tu es épuisé mais tellement heureux, ça reste mon plus beau souvenir de course. »
Avec la caméra « GoPro » empruntée à son fils, il a filmé son épopée et partagé son expérience de l’UTMB avec parents et amis. Récemment, il a également capté et diffusé des séquences de lui participant à trois autres trails. Ça vaut le détour.
« Je veux le refaire … un jour! »
En 2019, Alain a alterné entre les courses sur route et en sentier. « Je ne veux pas faire juste un des deux. Juste de la trail, je gagne en endurance mais je perds en vitesse. » Le moins que l’on puisse dire, c’est que 2019 fut une année chargée : Marathon des Érables en Montérégie (3h07) et Trail du Coureur des Bois (34 km) à Duchesnay au printemps; Trail de la Clinique du coureur (50 km) au Lac Beauport, Québec Méga Trail au Mont- Sainte-Anne (110 km) et Marathon de Rimouski (2h58) à l’été; et finalement, Trail Bromont Ultra (80 km) en Estrie et Trail Défi des 4 versants (18 km) dans sa Beauce natale à l’automne. Ouf!
Pour le futur, Alain aimerait continuer à faire des ultra-trails. « Tant que je vais être capable. Plus on avance en âge, plus on se rend compte que c’est un privilège d’avoir la santé et de pouvoir courir. À chaque fois que je finis une course, j’apprécie le privilège que j’ai de pouvoir courir. On ne sait pas quand on peut perdre ça. »
Et devinez quoi? Alain est asthmatique! « Quand je prends mes pompes matin et soir, je n’ai pas de problème. »
Dans son emploi comme travailleur social en milieu scolaire, Alain rencontre des jeunes qui vivent des difficultés : stress, anxiété, problèmes familiaux, drogue. Il trace un parallèle entre la course à pied et les défis auxquels sont confrontés ces jeunes. « Je leur dis souvent de se fixer un objectif. Ça peut être dans une semaine, dans un mois, dans un an. Je leur demande d’identifier les étapes à faire et les gestes à poser pour atteindre leur objectif. Et surtout, de ne pas se décourager. »
Alain s’entraîne régulièrement avec le Club, mais l’hiver seulement. S’il fait habituellement ses longues sorties du dimanche en solitaire, il manque rarement les séances d’intervalle du vendredi soir. Il mentionne l’importance des amis dans le Club. Il a beaucoup couru avec Maxime Picard. « Maxime a été mon pacer officiel pour les derniers trente kilomètres du Québec Méga Trail au Mont-Saint-Anne. Il a été là dans les moments difficiles comme dans les moments de bonheur en franchissant avec moi la ligne d’arrivée à 1h27 du matin! Patient et motivateur, il gardait un œil sur mon état de santé. Merci Max! »