Depuis vingt minutes, je l’attends patiemment à Place de la Cité. Un échange de textos confirme le malentendu.
C’est avec un large sourire que Jean m’accueille la semaine suivante. Il semble en superbe forme.
Ça n’a pas toujours été le cas.
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Son histoire, Jean la débute par la période qu’il appelle « sa vie de bar ». Avec ses chums, il se tient au Beaugarte, soir après soir. Même s’il ne renie pas cette période où tout son argent est (littéralement) parti en fumée, il admet qu’il était temps que ça finisse … à 37 ans!
Malgré qu’il soit tout de même sportif (hockey, vélo), ses nombreuses années de « vie sociale intense » ont laissé des traces : il est « en surplus de poids », bien au-dessus de 200 livres.
Il rencontre alors Martine, avec qui il aura une fille, Roxanne. « J’ai su tout de suite que c’était la femme de ma vie. »
S’opère alors un changement drastique dans son mode de vie. Il devient membre du club Nautilus et un adepte du moulinage. Son club organise une compétition de triathlon : « Climber » / Rame / Tapis roulant. Durant quelques années, son objectif est de se classer pour la finale provinciale à Montréal, ce qu’il réussit à faire : il se classe 3e dans la catégorie 40-45 ans.
Il réalise qu’il a un bon cardio.
Quelques années plus tard, par l’entremise de son travail, Jean entre dans le merveilleux monde de la course à pied.
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Diplômé en sciences de l’éducation, Jean travaille comme éducateur spécialisé. À son travail, des collègues veulent former une équipe pour participer à la première édition du marathon des Deux-Rives en 1998. Il embarque.
L’année suivante, il désire courir le marathon en individuel. Pour bien se préparer, il joint les rangs de LF. « Je me pensais hot mais je me suis rendu compte, en arrivant dans LF, que je n’étais pas hot pantoute! »
Car à 6’ 3’’, 200 livres, Jean n’a pas vraiment le « physique de l’emploi ». Et sa technique de course, il le sait, laisse à désirer. À ce sujet, il raconte, en riant, que Jacques lui a dit un jour, « subtilement » :
« Toi Jean, on ne peut pas courir plus mal que toi; par contre, tu as du cœur. »
Au fil des ans, Jean complète notamment 25 marathons, incluant un PB de 3H17 à Ottawa en 2002 et 3 demi-Ironman. « J’aime beaucoup la nervosité dans l’air avant le départ d’une compétition, et l’ambiance après l’arrivée : ça respire le bonheur, c’est un monde en santé. »
Au printemps 2017, en préparation pour son 26e marathon, une douleur à la hanche l’incommode de plus en plus. « Avec mon poids, j’ai pensé que ça pouvait être l’arthrose. » Finalement, Jean choisit de plutôt participer au demi-marathon à Ottawa.
Mais dans les mois qui suivent, sa douleur à la hanche augmente. Il mouline tout l’été mais peine à avancer. Il se sent de plus en plus fatigué. Au lieu de s’entrainer sur son heure de lunch, comme il en a l’habitude, il doit se coucher pour pouvoir terminer ses journées de travail.
Pas normal.
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Jean consulte son médecin, passe une batterie de tests.
En septembre 2017, le diagnostic est brutal : Jean a un cancer, le Lymphome diffus à grande cellule B, stade 4, le plus avancé.
Un cancer agressif, avec 50% de survie.
C’est la descente aux enfers.
« Quand il m’a annoncé que j’avais un cancer, j’ai failli perdre connaissance. J’étais en état de choc. »
Les mois qui suivent sont difficiles, très difficiles. « Moralement, j’étais à terre. Je braillais tout le temps. Je dormais tout le temps. Je ne voulais pas voir la réalité en face. Je n’avais pas le goût de me battre. Si j’avais eu une switch « On-Off », j’aurais pesé dessus. »
Graduellement, avec un support psychologique et l’aide de son entourage, Jean remonte la pente, tranquillement. Il débute des traitements de chimiothérapie en janvier 2018.
Jean réagit bien aux traitements, au-delà des attentes même. Après son quatrième traitement, son médecin se demande si les quatre traitements restant sont nécessaires : « Vous avez eu une réponse optimale. On ne voit plus rien. »
Jean reprend vie.
« Là, c’était comme si j’avais pu sortir la tête de l’eau. C’est comme si j’avais gagné le million à la loterie. »
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Emporté par un vent d’optimisme, Jean entreprend, avant même d’avoir complété ses traitements de chimiothérapie, un retour à l’activité physique. « Ils me conseillaient de marcher mais moi, j’avais dans la tête de recommencer à courir! »
Mais ce fut pénible.
« Au début, après avoir couru à 7 minutes/km pendant 500 mètres, mes pulsations étaient à 192, soit au même niveau qu’après un test Léger-Boucher. En vélo, la piste des cheminots avec sa pente de 1%, je n’étais pas capable de monter ça. J’étais rendu à la limite de l’insuffisance cardiaque. »
Après quelques mois de persévérance, Jean amorce un retour avec le Club. Les premiers temps, il est incapable de parler aux autres en courant, même s’il court très lentement. Mais les encouragements qu’il reçoit de tout un chacun l’incitent à ne pas lâcher.
« J’ai eu une vague d’amour, c’est indescriptible! Les gens ont été extraordinaires. Ça a été magique pour moi. Je suis comme redevable. J’en parle avec émotion (…) Mes meilleurs amis maintenant, c’est des gens du Club. »
Jean retient une phrase de Jacques qui fut déterminante pour la suite des choses. « Il m’a dit : Jean, il y a juste toi qui sais d’où tu pars. »
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Ça fait maintenant plus de deux années que Jean avec a reçu son diagnostic de cancer et il se sent très bien, de mieux en mieux.
« Je n’ai jamais été aussi heureux que maintenant. On dirait que mes sens, la vue, l’écoute musicale, ne sont plus pareils. Je vis de façon exponentielle. J’ai beaucoup de respect pour les gens qui vivent une épreuve, perte d’emploi, séparation ou maladie, et qui se relèvent. Par contre, j’ai beaucoup moins d’empathie qu’avant pour les personnes qui se plaignent pour des niaiseries. »
Depuis quelques mois, il étudie de façon intensive afin d’obtenir la certification qui lui permettra d’être formateur dans les cours VELOCYCLE offert par Éconofitness. Car le vélo l’a toujours passionné, tout comme la course à pied.
« Je trippe vélo, terriblement. Je lis beaucoup là-dessus. J’ai déjà fait partie du Club de vélo Stoneham mais maintenant, je roule seul. J’adore suivre les Tours (France, Espagne) et j’ai également fait plusieurs voyages de vélo. »
À la toute fin de l’entrevue, Jean mentionne qu’il aimerait peut-être, un jour, écrire ses mémoires, raconter son enfance. « Je n’ai pas eu nécessairement une vie facile », se limite-t-il à dire.
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Bravo Jean pour la résilience et le courage dont tu as fait preuve! Les membres du Club seront avec toi en pensée lorsque tu pourras bientôt, on te le souhaite, courir ton 26e marathon!